Le papillon
Il était papillon, pas l’une de ces merveilles aux couleurs flamboyantes, aux formes élégantes. La lourdeur de son vol ne lui permettait pas de fréquenter les fleurs aux arômes subtils. Il était ordinaire et solide, son flair le guidait vers les fleurs de sa prairie, moins belles, mais chargées de délicieuses sucreries
Il aurait pu avoir une vie heureuse et tranquille. Hélas, Dame Nature l’avait doté d’une imagination sans bornes. Certains de ses frères de race l’enviaient : il pouvait voir dans le dernier des chardons toutes les couleurs du monde, la fleur la plus fanée ne semblait pas le rebuter, au contraire, il lui attribuait la beauté de celles qui ont souffert, les rides de leurs pétales n’étaient que le reflet de leurs épreuves passées. Certains relents de pourritures étaient, pour lui, le résultat de mystérieuses alchimies naturelles. Ils n’avaient donc, à ses yeux que du charme.
Là où ses congénères ne voyaient que laideur, mal, ou vice, il voyait beauté discrète, vertu profonde et douleur cachée.
Son rêve permanent lui faisait donc vivre des aventures indignes. Peu lui importait ! Elles se paraient des qualités des grandes decouvertes…. Les rochers les plus tristes étaient des Everest, les troncs d’arbres morts des Odyssées.
Ses Amours étaient, elles aussi, à la démesure de son esprit.
Au premier clin d’œil aguicheur de la dernière des marguerites, son cœur, partait dans les étoiles. Elle devenait aussitôt Dulcinée, Colombine, et Juliette !
Il puisait, dans leurs élans amoureux, les ressources qui le propulsaient encore plus loin dans sa voie lactée.
Les retours à la réalité étaient toujours très durs, Lorsque les déesses redevenaient mégères, adieu les rêves ! les beaux souvenirs n’étaient plus que cendres, amertumes, douleurs.
Celles qui étaient, la veille encore, les plus passionnées, devenaient sans raisons apparentes, les plus dures , les plus injustes.
Passé les tourments, son optimisme le tirait toujours d’affaire… Il partait donc encore à la recherche de l’âme sœur, toujours plus belle dans ses attraits inconnus.
Les autres papillons se gaussaient, suivant les épisodes avec envie ou ironie, selon que la fleur nouvelle était belle, ou trop inaccessible pour eux.
L’âge venant, on aurait pu croire que la prudence lui serait donnée, mais , si les aventures devenaient plus rares, les désillusions étaient plus grandes. Rien ne changeait dans son comportement, l’espoir de l’amour parfait le poussait toujours en avant.
Un jour pourtant, une fleur inconnue, perle éblouissante dans la pénombre d’une grotte mystérieuse, lui donna bien de l’espoir. Il grimpa si haut dans le ciel du bonheur que la chute mit sa raison en danger. Il restait prostré, persuadé que la joie ne serait plus jamais au rendez-vous. Comble de malchance, l’issue de la grotte s’était refermée, ou s’était perdue. Au début, l’obscurité ne fut pas gênante, il éprouva même un certain plaisir à s’apitoyer sur son sort, loin des regards. Il lui vint aussi l’idée de ne plus rien tenter pour sortir de sa torpeur, Elle était plutôt agréable.
Sa bonne étoile, alors se montra, elle se fit câline et dure tour à tour. Elle se montra aguicheuse, et finalement, lui fit prendre conscience que le monde, dehors, était encore plein de lumière, de parfums et de fleurs, qu’il y avait du pollen a butiner, des journées ensoleillées à vivre.
Les arguments semblaient solides, Il sortit alors , etl trouva la nature triste et morne , la froidure était venue, la bise le malmenait dans sa main géante. Les fleurs avaient disparu, sa prairie n’était plus que foin sec et pourri…
Quand il se retourna pour poser des questions à la Tentatrice, il fut atterré :les sourires avaient fait place aux ricanements, la beauté de celle qui l’avait aguiché était devenue visage grimaçant d’une sorcière.
Alors, il chercha un trou, bien profond, bien sordide, et s’endormit pour faire sa métamorphose à l’envers…..
Fourany 18 janvier 2004