Je vous enmène ce matin , là haut , en Haute Provence , au pied du "Moure de Chanier"... Là où repose mon ami , mon frêre Georges , un tout petit cimetière blotti entre les rosiers sauvages , les lilas et la petite chapelle qui n'entendra plus sa cloche sonner , des malfrats l'ont piquée...
Mais elle sonne encore pour les poetes qui savent ecouter...
C’est l’histoire d’une amitié entre hommes, et de sa survivance…..
Nous nous étions rencontrés en juin, le premier dimanche. Chaque année nous faisions cette promenade dans l’un des sommets du Verdon, appelé le Moure de Chanier. D’en haut, on peut découvrir tous les points culminants depuis la côte jusqu’aux contreforts des Alpes du Sud…. Mais ce n’était pas ces horizons qui nous amenaient là : c’était une prairie en cuvette , entre ciel et terre, avec une source qui serpentait avant d’aller se jeter en bas de la falaise pour répandre ses trésors aux fermes d’en bas….Au fond de la prairie, adossée aux derniers contreforts du Moure, se tenait une petite bergerie toute simple, utilisée seulement pendant la saison des alpages de juillet à octobre.
Mais aussi beau soit-il, le paysage n’était que l’un des attraits qui nous ramenaient ici chaque printemps. Le véritable but de notre promenade était les tapis de fleurs : très rares, les pivoines voyageuses ; plus communes narcisses et trolles, , qui jonchaient tout le creux de la cuvette… en si grand nombre que nous avions cru, la première fois, à un reste de neige de l’hiver !
Nous étions donc revenus, cette année là, et avions passé la journée dans les fleurs. Nous avions remarqué un autre couple de randonneurs qui, arrivés avant nous, s’étaient installés sur le perron de la bergerie. Nous étions restés à l’écart pour ne pas les gêner, mais en reprenant le chemin du retour, ils avaient fait en sorte de nous rejoindre sur l’unique sentier… Ils avaient envie de lier connaissance, ce qui fut bien facile. Nous étions nous-mêmes toujours à la recherche de nouveaux amis ! Ils s’appellaient Georges et Marthe. Natif de La Palud, l’enthousiasme de Georges devint vite communicatif et une grande amitié prit naissance ce jour-là…..Elle dura 3 ans, durant lesquels nous devînmes comme des frères. Etrange fraternité : nous étions de caractères très différents. Lui, assez pessimiste sur l’humanité, était doté d’un sens aigu de l’observation ; son mètier de journaliste en était probablement la cause. Et moi, toujours prêt à courir les aventures plus folles les unes que les autres, et ayant pour chaque nouvelle rencontre un a-priori favorable ! ! ! Il ne manquait pas de se moquer de moi , et avec sa finesse, trouvait les mots justes pour décortiquer les caractères ! C’était une de ses qualités : capable d’être bien conscient des défauts de ses interlocuteurs et en même temps d’accepter l’amitié totale et de tout donner….
Donc, pendant 3 années, nous avons tout partagé comme des frères. Lui avait pris sa retraite et j’étais encore en activité, mais il venait très souvent m’accompagner dans mes tournées commerciales, ou nous amenait dans ces gorges qu’il aimait tant. J’ai découvert, grâce à lui, les recoins et les plaisirs les plus cachés des splendeurs naturelles de sa région.
En automne, il participait à ma coupe de bois, et ensuite nous faisions la sienne. Les occasions de faire la fête étaient nombreuses, et les discussions se prolongeaient jusqu’à des heures très tardives. Nous n’étions pas toujours d’accord, loin de là : il avait une admiration sans bornes pour Louis-Ferdinand Céline, et moi qui étais loin de partager ses idées défendais mon point de vue avec acharnement…
Il était capable, pour prouver ses arguments, de « pièger » sans vergogne : Un jour, fête locale à La Palud, il m’avait invité à passer le week-end chez eux en célibataire, et m’avais placé près d’une jolie fille qui buvait toutes mes paroles et dont l’attitude ne laissait aucun doute… par correction pour mes hôtes , je n’ai rien tenté ! et depuis il me considérait comme un saint que je n’étais surtout pas…. J’ai compris ensuite qu’il avait tout manigancé pour prouver à Marthe que je ne serais pas plus fidèle qu’un autre si l’occasion se présentait ! ! ! Je passe sur le fou-rire que nous avons eu quand j’ ai dit qu’il lui aurait suffit de me demander de convaincre Marthe que j’étais comme les autres pour que çà soit fait !
En Decembre 85 , après beaucoup de déceptions avec l’équipe que j’avais dirigé pendant 7 ans, je lui appris que c’était fini : j’avais donné ma démission, et allais tenter de finir les 7 ans qui me restaient avant la retraite, en indépendant ! Il savait très bien quel coup c’était pour moi. Depuis le début, je n’avais pas arrété de lui rebattre les oreilles sur les bienfaits de l’association professionnelle, théorie qui le faisait sourire, lui le sceptique. Pourtant, très discrètement, il me soutenait le moral, et m’aidait à mettre sur pied ma nouvelle indépendance….
Hélas, il avait si longtemps négligé sa santé de boulimique qu’il fit une hémorragie cérébrale et mourut à 3 jours du nouvel an….
Je ressentis sa perte comme celle d’un frère, et l’ai pleuré comme jamais je n’avais pleuré….Il avait demandé à être inhumé dans un petit cimetière au pied du Moure de Chanier, ce qui fut fait l’été suivant quand la neige avait fait place aux fleurs. Je me souviens encore du lilas qui couvrait sa tombe, et du tilleul centenaire en pleine floraison, la montagne avait déployé tous ses attraits pour l’accueillir. Les papillons étaient venus avec les oiseaux lui faire fête…..
Puis, tous partis, la nature reprit son calme. Seuls ses proches ont toujours veillé sur son repos, mais je retourne toujours me recueillir dans ce coin tranquille. C’est chaque fois beaucoup d’émotion, mais j’ai pris l’habitude de lui parler comme s’il était présent et qu’il allait, comme avant, avec son air narquois, me donner son avis…
Lors de ces « retrouvailles » je repensais aux anecdotes qui avaient émaillé nos balades : Là, il s’était amoché la mâchoire dans une chute ; ici nous avions rencontré des touristes accoutrés de façon ridicule… et moi, le païen total, insensiblement, j’en vins à le sentir prés de moi , même dans mes randos loin de son lieu de repos. Je le découvrais dans un petit arc-en-ciel entre deux nuages, ou dans l'’air qui venait me rafraîchir en plein effort, ou quand nous étions autour d’une table réunis en joyeux compagnons ! ! !
J’ai souvent été tenu pour un illuminé qui parlait seul : en fait, je lui donnais mes impressions du moment !
Puis, en fin d’année 87, le petit fils de ma compagne fut pris de vomissements sanguinolents. Grosse panique. L’enfant fut hospitalisé et subit pendant un mois des quantités d’examens très éprouvants. diagnostic : un nombre incalculable de polypes dans l’estomac et l’intestin. L’enfant allait mourir tôt ou tard !
J’adorais ce gamin de 6 ans et l’avais initié aux joies de la randonnée et du camping, à la découverte de la nature et de ses habitants, insectes, oiseaux, fleurs et arbres. Georges aussi l’avait beaucoup aimé, il lui avait passé tous ses petits caprices d’enfant, et l’autre en avait bien profité : trampolino sur le gros ventre de tonton Georges, qui un jour lui avait fait découvrir les joies du cerf-volant improvisé avec un rouleau de papier toilettes….
Nous étions donc tous complètement consternés par le diagnostic médical sans espoir ; puis nous décidâmes de transfèrer le gamin dans un autre établissement à Marseille.
Je me dis que puisque tout était perdu, je ne risquais pas grand chose à aller exposer notre problème à Georges. Nous étions en Fevrier, et les prévisions météo étaient très mauvaises . Je pris donc tout l’équipement pour me permettre d’y aller sans trop de risques, et partis très tôt, avec une vraie tempête, branches d’arbres sur la route, pierres, pluie , et vent violent !
Après 3 heures de route dans ces conditions, j’arrivais au carrefour de la petite route montant au cimetière. Je pensais que la neige allait me poser des problèmes, mais, surprise, le chasse-neige venait de passer, et ,autre surprise, le temps si mauvais jusque-là, se calma brusquement et un cercle de soleil de 300m environ me prit comme sous un projecteur, et me suivit (oui, vraiment) pendant les 12 km du trajet…. Jusque là , je n’étais pas trop surpris, mais je n’étais pas au bout de mon étonnement .
Pendant mon petit moment de communion avec mon copain, je vis un très bel arc-en-ciel au-dessus des gorges du Verdon. *à devenait très étrange. Et le rayon de soleil me reprit en charge et m’accompagna jusqu’au bas de la petite route de montagne ! ! ! le retour se fit ensuite dans les mêmes conditions de tempête qu’à l’aller…
Une semaine après, l’enfant sortait de l’hôpital ; on n’avait trouvé qu’une trace cicatricielle au duodenum, et rien d’autre ! ! le gamin se porte comme un charme aujourdhui ! ! !
Au début, après ce que j’avais tendance à considérer comme un miracle, je me suis posé beaucoup de questions ; puis mon esprit logique chercha des explications plus « scientifiques » ; on découvrit que peu de temps auparavant, dans la classe de Nicolas, une épidémie de rougeole avait sévi ,et que parfois, l’éruption de boutons qui l’accompagne est interne. Puis le médecin émit l’idée que la préparation aux examens internes avait sans doute été mal faite…. Rien de tout cela ne pouvait infirmer l’hypothèse du miracle, mais ne pouvait non plus la confirmer. Je voyais là quelque chose d’étrange mais pas forcément inexplicable.
Plusieurs saisons passèrent , mes visites étaient irrégulières mais je pensais que puisque le souvenir restait très vivace, notre séparation était peu importante. J’allais quand même passer quelques moments près de mon ami, et quelques anecdotes survinrent qui étaient plutôt amusantes :
Une fois, j’étais monté assez tôt, et m’étais arrêté très brièvement sur mon trajet du week-end. Trouva-t-il que j’abrégeais un peu trop mes visites ? au moment de repartir, je découvris un rassemblement en bas du cimetiere : pas question de repartir, route fermée pour un rallye qui allait passer dans le coin ! et pas seulement une fois, mais deux ! j’ai attendu patiemment pendant 4 heures ! je reconnaissais bien là son espièglerie….
Une autre fois, dans la tranquillité du petit cimetière au fond de cette montagne, plongé dans mes pensées, je vis apparaître , au-dessus du mur qui surplombait la tombe, quatre têtes « touristiques » ! ! ! ils étaient aussi étonnés que moi et trouvaient anormal qu’un visiteur soit là ! ! ! inutile de dire comment je les remis en place ! !
Un autre jour, je ne sais sur quel coup de tête je pris un autre chemin de retour, par une route encore plus mauvaise, et m’arrêtais sans véritable raison, dans un col désertique : j’eus ainsi l’occasion de remettre sur la bonne route des promeneurs complètement égarés….
Petits incidents sans signification probablement, mais qui entretenaient l’idée que quelque part mon ami était toujours bien là…..
Puis en 88, un autre évènement très étrange survint : j’avais alors 56 ans et le petit bureau d’études que j’exploitais me donnait bien du souci : je n’arrivais pas à percevoir un salaire et me sentais couler lentement mais sùrement ! ! et à cet âge, espérer trouver un emploi relevait de la pure chimère, pas droit au chômage, la situation était critique. Alors je fis mon pèlerinage, et une semaine après, je vis arriver deux anciens collègues de travail qui me proposèrent de rentrer chez eux comme salarié et qui reprirent les engagements de mon affaire ! ! ! je suis resté jusqu’à la retraite avec eux ! ! ! là on pouvait encore croire au miracle, mais aussi à la coïncidence ! c’est ce qui rend tous ces évenements si curieux, on peut toujours leur trouver une explication logique, et les Saint Thomas peuvent y trouver leur compte, mais celui qui y croit peut aussi voir là les effets d’une « action » extra-ordinaire….
Mais ce n’est pas fini….
J’avais enfin la quasi certitude de l’action inconnue dont j’étais le bénéficiaire, je ne souhaitais pas « abuser » de ces bienfaits, et me sentais un peu complexé d’aller aussi souvent demander de l’aide. Alors j’essayais de compenser par des visites plus fréquentes et « moins intéressées ». je pris l’habitude de monter lui rendre visite au moins deux fois par mois, j’y trouvais une sorte d’apaisement, mes moments de solitude étaient devenus une motivation pour retrouver mon copain : il n’était plus une dépouille enterrée et inaccessible, il était partout présent. Curieux sentiment de se sentir accompagné par cet ami invisible, et pas toujours bienveillant. Je le sentais parfois très hostile à certaines de mes lubies, comme s’il se moquait de mes décisions, et de ma légéreté…. Mais aussi très souvent il m’encourageait dans des voies qui me paraissaient très osées, et çà marchait ! ! *
En 98, je m’étais installé définitivement à la montagne, séparé de la compagne qui avait été la mienne depuis 29 ans : elle ne voulait rien savoir d’une vie aussi loin des « commodités » de la ville…. Et je fis une rechute très grave de la maladie des yeux que j’avais contracté en 78. Devenu presque aveugle après 3 opérations, je me voyais sombrer irrémediablement dans le noir, et calculais de quelle manière en finir rapidement. Je n’avais même plus les moyens physiques de conduire pour aller lui demander de l’aide, et , un jour d’été, allongé dans l’herbe à tenter d’apercevoir un signe de sa présence dans le ciel qui semblait de plus en plus sombre, je fis ma demande en lui demandant cette si grande faveur de retrouver mes yeux….
Je me rendis chez mon ophtalmo la semaine suivante, il ne pouvait m’opérer de nouveau , et me dis , je suppose pour temporiser ma demande : essayez ce produit , et dans un mois , si çà ne va pas mieux , je vous opèrerais….
Dix jours plus tard, je voyais beaucoup mieux de l’œil gauche, et un mois plus tard, les deux yeux étaient opérationnels, je n’ai plus eu besoin d’autres interventions chirurgicales depuis ….
Je suis convaincu aujourdhui de l’existence de « présences » surnaturelles, car même si j’ai de la chance, une telle accumulation de miracles ne peut s’expliquer par la loi des concidences dues au hasard.
Il est possible que tout ceci serait arrivé, même sans la foi que j’ai en cette existence ! mais un autre aspect bénéfique de cette croyance est la force morale que cela m’a apporté, et cela n’est pas une illusion….
Alors, je continue à garder le contact avec mon vieux copain…..et à croire qu’il est toujours là, pas loin et si loin en même temps…..
Pour conclure, je voudrais préciser que tous ces évenements se sont bien déroulés, et même qu’il y en a un certain nombre d’autres dont je n’ai pu établir avec certitude la relation avec mon ami, qui sont arrivés de façon assez incroyable ; et dont mes parents ou amis ont bénéficié….
La Colle St Michel Avril 2002